OFIVE : quand la street devient de l’art

OFIVE : quand la street devient de l’art

A l’heure où l’on célèbre Mai 68, la rue semble encore vouloir donner de la voix. Elle n’en finit pas de s’époumoner contre le monde actuel, l’ordre établi, la pensée unique et revendique sa soif de liberté. Hasard historique ou alignement des planètes, à la même époque naissait un mouvement qui allait également devenir un symbole de contestation et de liberté. Lorsqu’un certain Cornbread décide de déclarer sa flamme à une fille en taguant son nom sur tous les murs de la ville de Philadelphie, il n’a alors aucune idée de l’ampleur du phénomène qui est en train de naître. Aujourd’hui, comme hier, le street art est devenu un moyen pour la rue de s’exprimer. Mais quand certains révoltés battent toujours le même pavé, d’autres ont préféré changer de méthodes. Depuis quelques années, le street art est en pleine mutation et ne cesse de se réinventer pour le plus grand plaisir des galeristes et au grand dam de certains puristes. En proposant des services de leasing d’œuvres d’art aux entreprises, Urban Capsule s’essaie à une nouvelle mutation ; faire se rencontrer l’univers du street art et celui de l’entreprise. Mais la rencontre est-elle possible ? Oui, selon Alexandre Ivanov, fondateur du projet Urban Capsule. Et pour le prouver, il organise le 17 mai une exposition avec une quinzaine d’artistes où le public pourra découvrir l’étendue de ce mouvement né dans la rue il y a plus de 50 ans. Rencontre avec Alexandre Ivanov.

Quand es-tu tombé amoureux du Hip-Hop* ?
Je ne sais pas si on peut dire que je suis tombé amoureux du Hip-Hop, je dirais plutôt que j’ai grandi dedans…

 

Tu n’as pas un souvenir en mémoire, où à un moment tu t’es dit « C’est pour moi » ?
… Y’en a plein ! Moi, je fais partie de la génération de mecs qui regardait les clips de « Petit frère », et de « Laisse pas trainer ton fils » en mangeant des Chocapic avant d’aller à l’école. Je fais partie de la génération qui n’avait pas la télé dans sa chambre, donc quand les parents étaient dans le salon, nous, on écoutait la radio. J’étais avec mon magnétophone, à attendre que ma chanson passe pour appuyer au bon moment sur le bouton REC et l’écouter avec mon Walkman*. J’étais comme un fou quand il manquait les 10 premières secondes…C’est là-dedans que j’ai grandi.

 

Quand est-ce que tu es tombé amoureux du graffiti ?
Assez petit. Ma mère était passionnée de dessin, et très jeune, j’avais un crayon dans la main avec du papier Canson*. Les premiers trucs que je faisais, c’était de reproduire des animaux. Et en grandissant, comme beaucoup de gamins de l’époque, j’allais souvent aux Puces de Clignancourt. A l’époque, il y avait un mec qui dessinait sur des pulls. J’ai trouvé ça exceptionnel. A la même période, je traînais avec un pote qui avait un bon coup de crayon, et j’ai commencé à m’intéresser au graffiti comme ça. J’ai commencé par recopier les lettres, juste par passion, puis j’ai commencé à faire des graffitis. Je volais même des Posca pour pouvoir dessiner ! (Le délai de prescription pour les délits étant de 12 ans, nous avons choisi de retranscrire cet aveu dans ce passage. NDLR).

 

Comment le concept d’Urban Capsule est né ?
Je travaille dans l’univers du leasing, un système de location, avec achat en option, de biens d’équipement. Et je me suis dit, pourquoi ne pas mêler travail et passion ? Pourquoi ne pas adapter le même système au monde du street art ? Pourquoi ne pas emmener le street art dans les entreprises ? Si je fais un constat tout bête, les mecs en entreprise sont plutôt de la même génération que moi. Ce n’est plus le notaire de 60 ans à qui tu montres une toile de street art et qui te parle de vandales. Le street art a également évolué de son côté. L’idée d’Urban Capsule est de faire rencontrer le street art et d’autres univers. L’idée surtout est de faire connaître le street art au plus grand nombre, via ses artistes, ses mouvements, ses supports…

 

« C’est bien qu’il y ait aujourd’hui des galeries qui exposent du street art mais il faut aussi que les artistes puissent vivre de leurs œuvres, d’où le concept d’Urban Capsule. »

 

Est-ce que tu peux nous parler de l’exposition du 17 mai prochain ?
On va exposer entre 30 et 40 œuvres d’une quinzaine d’artistes différents, dont une dizaine sera présente à l’exposition. Parce que c’est intéressant et important que les artistes puissent expliquer leur travail et leur vison. L’événement sera ouvert au public de 15h00 à 17h00 et à partir de 18h00, ça sera uniquement sur invitation. Il y aura une performance live de Nasty, un artiste exposé, qui fera une fresque qu’il découpera en 50 morceaux. Les heureux chanceux pourront repartir avec une œuvre d’art originale. On a essayé d’inviter des personnes d’univers différents. Des artistes, des chefs d’entreprise, des financiers, des journalistes, des amis… L’idée est de fêter ensemble le démarrage d’Urban Capsule et la première édition de cette exposition. Mais l’envie, c’est surtout de faire découvrir les artistes. C’est bien qu’il y ai aujourd’hui des galeries qui exposent du street art mais il faut aussi que les artistes puissent vivre de leurs œuvres, d’où le concept d’Urban Capsule. C’est vraiment par passion que je fais ça, j’y ai mis tout mon cœur. J’ai vraiment envie que ça marche, pour les artistes et pour le street art.

 

Justement, est-ce que tu peux nous donner ta définition du street art ?
Pour moi, c’est des mecs qui ont un vécu dans la rue, ça ne veut pas forcément dire que c’est des mecs qui ont passé les années 90 à défoncer des trains et des murs, mais c’est des mecs qui donnent ; le street art est pour moi l’une des seules formes d’art qui s’offre au public aussi généreusement ; parce que les mecs qui peignent des murs, des boites aux lettres, des façades d’immeubles, et des trains, bah c’est totalement gratuit, c’est totalement généreux comme art. Après, tu as l’art contemporain urbain qui va regrouper plus de choses, mais le street art pour moi, c’est ça.

 

« Quand on parle de street art, certains ne voient que des tags alors qu’il existe plein d’univers différents. »

 

Existe-t-il un point commun entre tous les artistes/œuvres du catalogue d’Urban Capsule ?
99 % de ce qu’on a aujourd’hui en catalogue et qui va être exposé le 17 mai, c’est essentiellement des mecs qui ont commencé dans la rue, C215, Jef Aérosol, Nasty… La plupart des artistes qui seront exposés, ce sont des artistes que j’aime et que je suis. J’ai voulu également un large panel d’artistes pour que le public découvre l’étendue de cet art. Il y a plein de techniques différentes, plein de supports différents… Il y a le lettrage, le pochoir, la bombe…

 

Est-ce que tu peux nous parler des artistes présentés lors de cette exposition ?
Tu as beaucoup d’artistes différents. Il y a Mark093 qui arrive à faire des toiles hyper lumineuses, tu as un mec qui s’appelle Astro, qui arrive, avec du lettrage, à faire de la perspective, tu as vraiment l’impression d’être noyé dans la toile, c’est assez impressionnant…C’est ça qui est intéressant ! Parce que quand on parle de street art, certains ne voient que des tags alors qu’il existe plein d’univers différents. Par exemple, PRO176, il fait des trucs un peu pop et travaille sur la distorsion des formes. Il y a également Nasty, qui fait un rappel du métro dans ses toiles. Il y a beaucoup de choses différentes.

 

Comment les artistes de street art voient cette initiative ? Est-ce que le concept est bien accueilli ?
Ils ont très bien réagi, c’est ce qui m’a aussi conforté dans ce projet. Il y a un artiste, que je ne citerai pas, mais quand je lui ai parlé du projet, il m’a dit « merci d’exister », pas à moi personnellement, mais au projet. C’est à travers eux qu’Urban Capsule existe. Même au niveau des galeries, ils ont bien accueilli le concept. Certaines voulaient même nous prêter des toiles pour l’exposition du 17 mai.

 

« Aujourd’hui, le street art est reconnu de plus en plus comme un art à part entière. »

 

Quel type de services vous proposez aux entreprises ? Concrètement, comment ça se passe ?
Le service s’adresse à tout type de clients, qu’il s’agisse de grosses structures ou de petits indépendants. Il suffit d’avoir un lieu dans lequel la toile peut être exposée. Ca peut être la salle d’attente d’un médecin ou d’un avocat, lasalle de réunion d’une société d’informatique ou de conseils, la salle de restaurant d’un hôtel…Tous ceux qui ont une appétence pour le street art et l’art en général. Et ils peuvent en plus défiscaliser le service pour payer moins d’impôts sur les sociétés.

 

Quelle vision du street art ont les sociétés que vous approchez ?
Il y a une évolution dans la mentalité. Principalement pour deux raisons. Déjà parce qu’il y a une nouvelle génération de chefs d’entreprise et ensuite parce que le street art a évolué et que les gens investissent. Il y a donc plus d’argent, ce qui permet aux artistes d’expérimenter de nouvelles choses. Comme Astro par exemple ; à la base, il vient du lettrage, il est reconnu dans le milieu, mais avec ses perspectives, il commence à expérimenter d’autres trucs, c’est hyper intéressant ce qu’il se passe en ce moment dans le milieu. Aujourd’hui, le street art est reconnu de plus en plus comme un art à part entière.

 

Est-ce qu’en proposant en leasing des œuvres de street art aux entreprises, ce n’est pas dénaturer l’œuvre d’un artiste qui se bat généralement pour rester libre et loin de tout conformisme, et justement en dehors des 4 murs d’un bureau ?
Je vais essayer de répondre en faisant un parallèle ; est ce que Jay Z a trahi le Hip- Hop en montant l’empire qu’il a aujourd’hui ? Je ne pense pas. Ce que je veux faire à mon niveau, c’est démocratiser le street art, pas le dénaturer. Je ne louerai pas une œuvre d’art à un avocat qui veut une toile de street art pour « s’encanailler » parce que je serais mal à l’aise vis-à-vis de l’artiste. Dans la même idée, j’essaie de faire attention à ce que j’achète et à ce que je propose. Il y a certains artistes que je respecte, mais que je n’exposerai pas, car pour moi ce n’est pas du street art.

 

« Les dessins qui se trouvent dans les grottes de Lascaux, est-ce que ce n’est pas du street art ? »

 

Que réponds-tu aux personnes issues généralement du graffiti qui rejettent ce mot de street art ?
Je comprends… Au départ, le monde du graffiti, c’était défoncer des camions, défoncer des trains, des rideaux métalliques, etc. même si tu n’avais pas le temps de finir. L’idée c’était de voir ton blaze le plus de fois possible. Les mecs des années 80, ils vont te dire « une belle fresque, c’est pas du graffiti », ils vont préférer un truc en bubble où tu sens que le mec a dû faire vite parce que c’est l’essence même du truc. Après, les gens ont développé des techniques dans des terrains vagues où c’était « plus autorisé », où les mecs avaient plus le temps de s’exprimer, et de faire d’abord un sketch. Je n’adhère pas à cette théorie qui rejette le mot street art mais je comprends ce qu’ils veulent dire. Les dessins qui se trouvent dans les grottes de
Lascaux, est-ce que ce n’est pas du street art ? Et, ce qu’ont fait les gladiateurs à Pompéi, ce n’est pas du street art ? En vérité, ce qu’on appelle aujourd’hui graffiti n’est-ce pas un lointain ancêtre d’un art qui existait déjà ? On peut débattre des heures sur ce sujet.

 

Comment vois-tu l’avenir du street art ?
Ça va exploser. Aujourd’hui, ça doit représenter environ 10 % du marché de l’œuvre, ce n’est pas grand chose, mais ça va exploser dans les années à venir. Les cotes des artistes sont en train de monter. On a besoin de ça, on a besoin de cette énergie. Aujourd’hui, on vit dans une société où ce n’est pas tous les jours facile, et quand tu tombes sur un mur entièrement peint, et que ça te fait sourire ou que ça t’interpelle, que ça t’interroge ou que ça te fait du bien, bah c’est déjà ça.

 

J’ai oublié de te poser deux questions très importantes que je pose à toutes les personnes interviewées : Quel est le premier album que tu as acheté ?
Je ne peux pas le déclarer… Ça va flinguer mon image, je suis foutu après. Tout ce que je t’ai raconté n’aura plus aucune crédibilité… Bon, c’était Céline Dion*, « D’eux »… mais ne me juge pas !

 

Bon, tu peux te rattraper sur le dernier album que tu as acheté
Ce matin, en venant, j’écoutais Kofs*, un rappeur marseillais qui est notamment sur la BO de Taxi 5, c’est pas mal du tout…

Bien rattrapé !

Article par Tannen
Lien vers l’article original sur Ofive